Qu’est-ce que Sandbox ?

Sandbox est un court métrage qui rend compte d’une errance numérique à travers Monument Valley, un territoire situé à la frontière entre les États de l’Utah et de l’Arizona. Produit via le logiciel Google Earth, il examine certaines dynamiques politiques et culturelles qui se sont développées dans la région, au vingtième siècle, afin d’explorer leurs effets sur le paysage et sur les communautés locales.

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Avant-propos : Monument Valley

Le territoire de Monument Valley est administré par la nation Diné, un peuple originaire du Sud-ouest des États-Unis et dont les membres sont fréquemment appelés Navajos. À leurs yeux, cette vallée est sacrée puisqu’elle participe à la formation des mythes fondateurs de leurs croyances. Les images de Monument Valley ont été popularisées, dès 1925, lorsque des sociétés de productions hollywoodiennes ont investi la région pour y réaliser des westerns. Il s’agit de films qui mettent en scène certaines légendes nées lors de la conquête de l’Ouest.

Genèse du projet

La cartographie

Sandbox est né d’une volonté de concevoir une cartographie de Monument Valley qui indique les lieux de tournages des westerns réalisés par John FORD. Grâce à son observation minutieuse, Tanguy BENOIT est parvenu à retrouver plus de quatre cents emplacements où le réalisateur et ses équipes ont disposé leurs caméras pour filmer des classiques comme Stagecoach (1939), The Searchers (1956) et Cheyenne Autumn (1964). Cette carte témoigne d’un espace soigneusement structuré, composé de lieux signifiants que les amoureux du cinéma ont le plaisir de redécouvrir film après film. En plus d’être un outil de réinterprétation de l’œuvre de FORD, cette cartographie a incité Tanguy BENOIT à générer de nouveaux récits, tant fictifs que documentaires, et à les mettre en scène au sein d’un court métrage.

Le court métrage

Sandbox est une docufiction qui retrace le périple des premiers hommes, des êtres qui errent à travers un vaste no man’s land à la recherche d’un passage vers de nouveaux mondes. Le récit est une combinaison de fragments narratifs empruntés à la mythologie navajo ainsi qu’aux histoires minières et cinématographiques de Monument Valley. Les images qui composent le court métrage sont tirées de westerns produits dans la région, dont les lieux de tournage ont été relocalisés et dont les cadrages et les mouvements de caméra ont été reproduits via Google Earth.

Le déluge

En ouverture, le narrateur indique que les premiers hommes ont été contraints de fuir leur village en raison de l’apparition soudaine d’un immense raz de marée. Cette séquence s’intéresse au déluge tel qu’il est représenté dans la Diné Bahane’, le récit originel navajo. Ensuite, ce mythe est recontextualisé au regard d’un événement qu’a vécu John FORD en 1915 lorsqu’il était assistant-réalisateur pour une société de production hollywoodienne. À cet instant, la diégèse du court métrage se trouble en raison de la superposition d’éléments narratifs constitutifs d’œuvres dont les enjeux politiques et culturels varient. Par conséquent, les premiers hommes font face à des situations tirées, par exemple, du film The Searchers (1956) réalisé par FORD. C’est à travers ces allers-retours diégétiques que les personnages découvrent lors de leur exode, les raisons pour lesquelles leur pays a subi une inondation massive. Pour échapper aux eaux tumultueuses, les protagonistes ont creusé une fente dans la coquille formée par le ciel. D’après la Diné Bahane’, le tunnel a mené les personnages dans un nouveau monde. Il s’agit du monde dans lequel vivent actuellement les Navajos.

Le désert : un no man’s land radioactif

Dans la nation navajo, on recense une quantité importante de grottes dont l’une a servi, à deux reprises, de lieu de tournage aux équipes de John FORD. Actuellement condamnées, la majorité de ces cavernes sont d’anciennes mines qui étaient en activité au milieu du vingtième siècle. Elles étaient secrètement utilisées pour extraire du minerai composé de vanadium et d’uranium : deux matériaux nécessaires à la fabrication d’armes nucléaires. Partout dans l’Ouest américain, des milliers de marginaux ont été bercés par les promesses de fortune faites par l’industrie minière. À Monument Valley, les mineurs navajos n’étaient pas informés des dangers liés à l’exposition aux minerais radioactifs. Des années plus tard, des milliers d’ouvriers et leurs proches souffriront de cancers. L’ultime séquence de Sandbox reconsidère ce choix qu’a fait FORD de filmer plusieurs fragments de ses westerns aux abords et dans une grotte de Monument Valley afin d’émettre une hypothèse étonnante : et si le réalisateur américain suspectait l’ampleur de ce qui se jouait sous ses pieds ? Dans ce cas, lorsqu’il inscrit l’action de ses films à proximité des mines de la région, FORD associe les exterminations qu’ont subi les natifs lors de la conquête de l’Ouest à un génocide plus contemporain et plus silencieux mené au nom du développement de l’armement atomique américain.